Gastronomie : la revanche des femmes chefs

Les femmes commencent à s’imposer dans le milieu très macho de la grande cuisine.

    Pas étonnant que peu de femmes trouvent leur place. Dans les années 1980 et 1990, les rares qui s’y risquent y laissent des plumes. Olympe Versini récolte sa première étoile en 1980, mais plaque tout en 1988 pour retrouver une « certaine » tranquillité.

    Ghislaine Arabian, aujourd’hui membre du jury « Top Chef », s’est quant à elle frottée aux deux étoiles dans son restaurant lillois, puis au Pavillon Ledoyen à Paris jusqu’en 1998, avant d’ouvrir son néo-bistrot en 2006, Les Petites sorcières (Paris 14e), où elle officie actuellement.

    Pour avoir congédié un employé en plein service chez Ledoyen face aux caméras de télévision, elle sera elle-même remerciée. Des méthodes d’homme qu’on n’apprécie guère venant d’une femme !

    A partir de 2005 un vent nouveau souffle sur la cuisine française. Médiatisation des grands chefs, émissions de télé-réalité à foison, la cuisine, qui n’a jamais été aussi tendance, attire une nouvelle génération de jeunes femmes.

    Des chefs trentenaires, fermement décidées à ne plus jouer les seconds rôles. Leurs modèles : Hélène Darroze, établie à Paris et à Londres, ou encore Anne-Sophie Pic, les quadras étoilées, nées dans le milieu (leurs pères et grands-pères respectifs étaient restaurateurs), qui ont ouvert la voie.

    Ces jeunes chefs se sont formées dans les cuisines des plus grandes tables, afin d’asseoir leur légitimité dans un milieu encore largement dominé par les hommes.

    Si Flora Mikula (L’Auberge Flora, lire son portrait page précédente) et Stéphanie Le Quellec (préparant la réouverture en 2013 du restaurant du Prince de Galles, à Paris) ont décidé dès l’âge de 14 ans d’apprendre le métier en embrassant un parcours classique (école hôtelière), un nouveau profil émerge : trois à cinq années d’études après le bac et une réorientation, parfois soudaine, vers les métiers de bouche.

    « Ces trois dernières années, nous constatons non seulement une féminisation de nos étudiants – la promotion de notre bachelor restauration 2012-2013 accueille 84 femmes pour 55 hommes –, mais également l’arrivée de profils extrêmement diplômés », observe Bruno de Monte, directeur de l’école de gastronomie Ferrandi à Paris.

    Formées au sein de cette école, Adeline Grattard (Yam’tcha à Paris, une étoile en 2011) et Amandine Chaignot (chef du restaurant de l’hôtel Raphaël à Paris depuis septembre) ont bifurqué après une licence d’allemand et deux années de pharmacie.

    Toutes sont unanimes, il faut s’accrocher, car le métier demeure éprouvant. « Je crois que nous ne sommes guère plus de deux de ma promotion à exercer encore actuellement ce métier », constate Amandine Chaignot.

    Cependant, si les journées de travail sont très longues (8 heures-minuit), certains aménagements d’horaires ont été mis en place – effet 35 heures oblige –, bien qu’ils ne concernent encore que les grandes maisons (restaurants de palace et étoilés).

    « Au Bristol (célèbre palace parisien, NDLR), où je travaillais auparavant, la moitié de la brigade était féminine », constate Christopher Hache, aujourd’hui chef étoilé aux Ambassadeurs, le restaurant de l’Hôtel de Crillon. Le jeune trentenaire y rencontre Amandine Chaignot qu’il choisit comme second quand il est nommé chef aux Ambassadeurs.

    Lorsque la maternité approche, des concessions entre vie professionnelle et vie familiale s’imposent. Adeline Grattard, propriétaire et seule en cuisine, a fermé plusieurs mois à la naissance de son second enfant.

    « Au début du Yam’tcha, j’ai privilégié l’embauche de jeunes femmes, qui ne sont pas revenues après leur congé maternité, confie-t-elle. J’avoue qu’aujourd’hui, je ne recrute plus de femmes à la trentaine. » Stéphanie

    Le Quellec, elle, se félicite d’avoir donné naissance à ses deux garçons alors qu’elle était encore jeune. « J’ai les coudées plus franches dans la gestion de ma carrière », reconnaît-elle aujourd’hui.

    Les femmes ont-elles définitivement conquis leur place dans la haute gastronomie française ? Les dix prochaines années le diront. Pour l’heure, c’est un joli frémissement…

    *Etude Safih 2011 de l'Observatoire de l'hôtellerie-restauration.