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Face au piratage, les géants français de l'animation japonaise s'allient

Capture d'écran de KZPlay, la solution légale de l'éditeur Kazé

Les éditeurs Kazé et Kana ont décidé de fusionner leurs plateformes de visionnage en streaming de dessins animés japonais en lançant Animé Digital Network. Avec un prix modique et la diffusion de séries quelques heures après le Japon, elles espèrent détourner les fans du téléchargement illégal.

La lutte contre le téléchargement illégal peut mener à des alliances a priori impensables. Kazé et Kana, rivaux historiques sur le marché français du manga et de l'animation japonaise, ont décidé, contre toute attente, d'allier leurs forces afin de lancer en octobre ADN (Animé Digital Network), un «Netflix» du dessin animé japonais fusionnant leurs deux catalogues.

Le principe est simple: contre un abonnement de 6,99€ à 9,99€ par mois, les internautes pourront regarder en streaming, à volonté, en haute définition et sur les plateformes de leur choix (PC, Mac, téléphones et tablettes Android ou Apple) plus de 200 séries, comme Naruto ou Blue Exorcist. Mieux encore, ADN proposera une dizaine de simulcast. Derrière ce nom barbare se cache une solution permettant de regarder les nouveautés, sous-titrées en français, juste après leur diffusion à la télévision japonaise. Un peu comme si un site français permettait de regarder à volonté les derniers épisodes de Mad Men, Game of Thrones et Breaking Bad une heure après leur diffusion aux Etats-Unis, de manière parfaitement légale, contre un abonnement mensuel. Kana et Kazé espèrent séduire 10.000 internautes lors de la première année d'exploitation d'ADN.

Un piratage massif

Le logo d'ADN, future plateforme de Kaze et Kana

Ces plateformes de visionnage n'ont rien de nouveau dans le secteur de l'animation japonaise. Les éditeurs comme Kazé ont même été les pionners de ce marché, en lançant les premières solutions légales dès 2007. À cette époque, Kazé lançait KZPlay, un site de téléchargement payant de séries japonaises, enrichi dès 2009 d'un visionnage en streaming. L'enjeu est grand: lutter contre le piratage endémique qui touche ce secteur. «Kazé s'est lancé en 1994 en réponse à la fin du Club Dorothée. La VHS puis le DVD était un moyen simple de diffuser les productions japonaises qui ne trouvaient plus leur place à la télévision», explique Sylvie Brévignon, directrice marketing de Kazé. Problème, il s'écoule plus d'un an entre la diffusion japonaise et la mise en vente des DVD en France. Un délai vu comme insupportable par les fans, qui, avec l'essor de l'ADSL, se tournent massivement vers le piratage. On estime aujourd'hui que la série Naruto, exploitée en France par Kana, est visionnée de manière illégale 240.000 fois par épisode.

Aujourd'hui, les éditeurs reconnaissent avoir tardé à réagir, laissant se créer une culture de la gratuité chez les fans. «Les éditeurs ont une part de responsabilité en ayant refusé de voir les changements technologiques et en n'écoutant pas les nouveaux besoins de leurs consommateurs», estime Sylvie Brévignon. «En lançant KZPlay en 2007, c'était déjà trop tard, les mauvaises habitudes étaient prises». «Pour les fans, la logique est simple: «Les Japonais ne payent pas pour regarder leurs dessins animés à la télé, pourquoi nous on le ferait?» Mais ils oublient la redevance, ou les coupures pubs!», explique Pascal Benattar, chef de projet chez Kana, à l'origine de la plateforme de streaming Genzai. Cette dernière s'est lancée en octobre 2012, avec en tête d'affiche la série Naruto, disponible une heure après la diffusion japonaise. Malgré son prix modique (4,99€ par mois pour l'ensemble du catalogue), Genzai n'a attiré que 1500 abonnés, alors qu'il en faudrait 7000 pour que la plateforme soit rentable. «Nous avons pu continuer car nous avons un gros groupe derrière nous [Kana appartient à la maison d'édition Dargaud, ndlr]».

Une plateforme unique en ligne de mire

La fragmentation de l'offre légale en streaming - chaque éditeur lançant son propre site - est vue aujourd'hui comme un obstacle à la lutte contre le piratage. Car il est difficile de demander au fan de japanimation de s'abonner 10€ à tel site, puis 5€ sur un autre, pour avoir accès à la même richesse de catalogue que les plateformes illégales et gratuites. «C'est à nous, éditeurs, de nous bouger, sinon nous allons droit dans le mur», estime Sylvie Brévignon.

Le rapprochement entre Kazé et Kana n'est, selon les dires de ces éditeurs, que la première étape de la création d'une plateforme unique qui pourrait regrouper à terme tous les acteurs du milieu, comme Wakanim. Basée à Roubaix, cette petite société indépendante propose le visionnage gratuit, contre visionnage de publicité, de séries en direct du Japon, et ainsi que le téléchargement payant des épisodes sans aucun DRM (verrou numérique empêchant de lire un fichier sur diverses plateformes). «Nous sommes rentables depuis avril dernier. 400.000 vidéos sont visionnées gratuitements chaque mois sur Wakanim, et nous enregistrons dans le même temps 80.000 transactions payantes», affirme Olivier Cervantès, directeur commercial de la société.

Si Wakanim n'est pas lié à une maison d'édition de manga, Kazé et Kana ont eux en ligne de mire les chiffres de vente des bandes dessinées à l'origine des séries d'animation. «L'animation fait vendre du manga. One Piece ne s'est jamais aussi bien vendu en librairie depuis que le dessin animé est diffusé chaque jour sur D17», explique Pascal Benattar. Pour assoir cette stratégie, Kana et Kazé se sont rapprochés du groupe Viacom (MTV, Game One), sur le point de lancer la chaîne J-One sur CanalSat et Numéricable. Cette dernière consacrera 5% de ses programmes à la diffusion de dessins animés japonais en simulcast, qui se retrouveront ensuite sur le site ADN. Pour Sylvie Brévignon, «ADN sera en quelque sorte la télévision de rattrapage de J-One».


Simulcast, une course contre la montre

La rapidité de mise à disposition légale d‘épisodes inédits est l'un des points-clés de la lutte contre le piratage. Chaque plateforme négocie avec les ayants-droits japonais pour avoir le droit de mettre en ligne, en téléchargement direct ou en streaming, le plus rapidement possible, leurs nouveautés. Pour réussir cette prouesse, Kazé, Kana ou Wakanim reçoivent quelques jours en avance les scripts des épisodes afin de les faire traduire par des traducteurs professionnels. Le fichier vidéo est envoyé juste avant la diffusion japonaise, afin de permettre le sous-titrage et l'encodage de l'épisode. Ce dernier est alors mis en ligne après sa diffusion à la télévision japonaise, dans un délai allant d'une heure à quelques jours, selon la volonté des ayants-droits.

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